Tr@ces de Conteurs : Racontez-nous
vos débuts dans le conte
Alain Gaussel : Il faut remonter
à moi enfant, en tant qu'auditeur et lecteur. Ma grande
mère était russe, elle était bibliothécaire,
à la Bibliothèque Russe de Paris. Elle me lisait
et elle m'a fait lire
Je lisais ces livres pour enfants
du XIXe siècle avec des illustrations extraordinaires
et ensuite des livres de la période soviétique
qui étaient très beaux. Je pense que tout ça
a joué beaucoup. Ma mère me lisait beaucoup d'histoires,
au moins une histoire tous les soirs et ma grande-mère
aussi. Quand j'étais petit,
je lisais beaucoup, donc j'ai commencé par être
un lecteur d'histoires et puis j'ai commencé à
écrire très tôt
A un moment donné,
j'avais un lot d'histoires emplie en moi

Tr@ces de Conteurs : Pourquoi vous
associe-t-on à la rue et aux quartiers ?
Alain Gaussel : Parce que c'est
ma spécialité, c'est surtout comme ça que
j'ai commencé à raconter... Quand je suis venu
m'installer en soixante-dix à l'Ile Saint Denis, je suis
allé à la bibliothèque avec mes petits
carnets plein d'histoires pour lire aux enfants. Et ensuite,
quand je me promenais dans la rue et que je rencontrais des
gosses qui m'avaient vu à la bibliothèque, ils
me redemandaient les histoires... et c'est là que j'ai
commencé à raconter dehors et sans mes calepins....
Ce que j'aime le plus c'est de raconter comme ça, des
choses non programmées, un peu à l'improviste,
à des petits groupes. Je raconte aussi dans les bibliothèques
et les écoles, mais mon originalité par rapport
à la plupart des conteurs est effectivement ce système
de "racontage" non annoncé à l'avance
et dans des lieux extérieurs. Et j'aime revenir ! Il
m'arrive parfois de raconter aussi dans une station de métro
une petite histoire courte s'il y a une classe qui s'y balade...
Par exemple "l'histoire des trois chats", en plus
elle est bien et je sais que je peux attaquer sur une station
de métro.

Tr@ces de Conteurs : Pourquoi
raconter dans la rue ?
Alain Gaussel : D'abord parce que
j'aime être dehors. Je suis plus à mon aise dehors
qu'entre quatre murs et parce que je trouve que c'est intéressant
de prendre les gens là où ils sont, surtout dans
les cités. Quand je retrouve des gosses qui sont en train
de jouer dans les cages d'escalier de leur immeuble, ou dans
le bac à sable de leur square habituel, là ils
sont chez eux, ils sont à l'aise. Ensuite ils sont libres,
ils peuvent écouter, s'en aller ou revenir... ça
implique des conditions qui sont parfois un peu difficiles sur
le plan sonore, comme ne pas pouvoir utiliser le silence. Il
y a une série de choses comme ça effectivement...
Mais à côté de ça, écoutent
ceux qui ont envie d'écouter, le temps qu'ils veulent
écouter, l'histoire qu'ils veulent écouter. Il
y a une grande liberté, et en même temps je suis
aussi plus à mon aise, je préfère être
dehors qu'être enfermé. Et l'aspect imprévu,
la surprise de voir arriver quelqu'un dont on ne sait pas bien
d'où il vient
il y a cet élément
"mystère" qui doit ajouter un plus, je suppose.

Tr@ces de Conteurs : Certaines personnes
disent que vous êtes le dernier des conteurs
Alain Gaussel : Je crois que c'est ma façon de
faire, qui consiste à avoir un répertoire pas
très important que je raconte de façon continue
sur des années dans les mêmes lieux, qui est sans
doute assez proche de ce qu'était le conte traditionnel
dans les villages. Cela permettait aux gens de se faire leur
propre répertoire. À force de les avoir entendus,
certains se mettaient à raconter aussi. Dans la pratique
actuelle du conte professionnel, ça ne se passe pas comme
ça. Les gens font un spectacle qu'ils vont peut-être
sortir dans plusieurs lieux, c'est sûr, mais ils ne reviendront
pas dix fois au même lieu raconter les mêmes histoires.
Je pense qu'une des forces du conte est la répétition
et ça se perd un peu
Une salle de spectacle ne
va pas accepter, sauf exception, qu'un conteur vienne six ou
sept fois raconter les mêmes histoires.

Tr@ces de Conteurs : Vous vous définissez
comme un conteur amateur
Alain Gaussel : Effectivement j'interviens bénévolement.
Disons que la différence entre "conteur-amateur"
et "conteur-professionnel" est liée uniquement
au problème de l'argent. Par exemple au niveau fréquence
de " racontage ", je raconte sûrement plus que
les conteurs professionnels... Cela dit, il y a des conteurs
professionnels qui racontent beaucoup mieux que moi, car ils
ont suivi des formations.... Moi, de tendance, je suis un peu
flémard et je ne suis pas du tout perfectionniste. Du
moment où ça marche, je ne cherche pas à
être le conteur parfait, à vouloir m'améliorer.
Parce que pour moi, conter est quelque chose de très
simple. C'est une façon de parler, ça fait partie
du quotidien. Je suis un peu comme les conteurs, qui racontent
en famille. Donc je ne sacralise pas le conte, je ne considère
pas que ce soit un art. Il peut être un art mais l'aspect
art m'importe peu. C'est plutôt l'aspect forme de communication,
forme de langage, forme d'échange, de communion qui est
important pour moi... Il y a un style très particulier
de communication dans le conte. Il y a deux façons de
conter qui sont assez différentes l'une de l'autre. Il
y a le conteur professionnel qui n'a pas le contact direct avec
le public. Il est dans une situation qui est, je dirais, un
peu théâtralisée. Et puis il y a le conteur
familial, ou le petit conteur des veillés comme autre
fois, qui a un public moins important autour de lui, avec un
contact direct et la possibilité d'être interrompu,
de faire autre chose en même temps.... Et moi je suis
dans cette catégorie-là.

Tr@ces de Conteurs : Qu'est ce que
vous aimez le plus dans le conte ?
Alain Gaussel : Je pense que
c'est un ensemble de choses. Le contact avec le public, comme
je l'ai déjà dit, est extrêmement important
pour moi. Il y a aussi cet aspect "rapport à la
ville", "rapport au lieu". J'étais souvent
mal à l'aise à cause de cet aspect touriste
ou voyeur qu'on a quand on se balade dans un quartier qui
n'est pas le sien. Depuis que tous ces quartiers sont des
quartiers où je vais raconter, je suis beaucoup plus
à mon aise, même si je n'y vais pas pour raconter,
car effectivement je fais partie du quartier. Il y a bien
sûr le texte, le plaisir de la langue, le rythme. Je
suis presque plus sensible au rythme de la phrase, à
la sonorité qu'au texte lui-même. Il y a aussi
un plaisir physique de la voix, de la respiration, j'ai toujours
aimé les choses respiratoires, comme courir, pêcher,
piocher... Puis quand je raconte dehors il y a vraiment un
plaisir visuel. J'ai devant moi, au premier plan, des enfants
qui sont en train d'écouter une histoire
regarder
une photo d'enfants en train d'écouter une histoire
c'est vraiment très, très joli. Derrière,
il y les arbres, le ciel
C'est tout un ensemble.
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